Un Secours, « Petit tu es et petit tu resteras. »
Lorsqu'on nous demande si nous n'avons pas peur ou si la plongée souterraine n'est pas trop dangereuse, j'aime à rappeler que les endroits les plus accidentogènes sont la cuisine et la salle de bains. Les accidents graves et mortels sont excessivement nombreux, en proportion avec le degré de fréquentation quotidien de ces deux lieux. Nous avons tendance à l'oublier, voir à faire preuve d'un aveuglement volontaire à ce sujet mais vivre et ceci depuis le premier souffle, c'est être à chaque instant en danger de mort. Il en est ainsi pour tout être vivant et il n'est rien de plus naturel et de plus normal, tout comme manger, respirer, boire, dormir. Mais une fois encore, notre égo nous pousse à défier les lois de la nature et à vouloir refuser et à modifier le cours naturel des choses. Accepter avec calme, lucidité et simplicité libère d'un poids, d'une charge, d'une oppression mentale et psychologique sclérosante. Aujourd’hui, une bonne partie de la population mondiale est « contaminée » par la peur, par cette véritable idéologie sécuritaire, sanitaire, hygiéniste, par la peur même d'avoir peur. Alors en effet pour cette fraction, s'enfoncer sous terre provoque des crises d'angoisse et elle nous propulse irrémédiablement dans la catégorie des dangereux inconscients, irresponsables, sujets très suspects à surveiller de près. Bien évidemment, comme chaque activité, il existe un risque d'accident mortel. S'y confronter n'est ni grave, ni folie, ni irresponsabilité ou inconscience. Nous sommes tous à des degrés divers exposés à des risques plus ou moins importants, dans le cadre professionnel, dans les transports, en respirant un air de mauvaise qualité, en buvant des eaux de mauvaises qualités, en mangeant de la nourriture de mauvaise qualité. En principe, tout est mis en œuvre pour limiter les risques, en principe car, les scandales sanitaires récurant montrent bien qu'un certain laxisme poussent certains élus et certaines compagnies à minorer ou à nier ce qui est d’ores et reconnu depuis fort longtemps comme des dangers pour le vivant. Pour en revenir au risque et aux accidents, oui, nous autres adeptes du monde cavernicoles, nous sommes parfois exposés à des accidents. Je n'aborderais pas le sujet de la prise en charge financière de ceux-ci. En France, les secours sont gratuits et assumés par nous tous, sans distinction de valeur, de responsabilité. L'immense différence réside dans l'organisation des secours. Sur terre, ce sont les pompiers ou le corps médical urgentiste qui s'occupent de nous en cas de pépin. Sous terre et en plongée souterraine, ce sont parfois les pompiers pour les opérations peu engagées, mais sinon, dans les majorités des cas, nous, les spéléologues, nous assumons nous même notre propre sécurité et nos propres secours. Et ceci amène à une très grande différence, notamment au niveau de la responsabilité. Nous comptons d'abord sur nous même pour notre survie et en cas de pépin sur l'aide des compagnons qui mettrons absolument tout en œuvre pour nous sortir de là. Le secours souterrain est donc régi par deux règles, nous sommes les acteurs de notre propre sécurité, n'importe où dans le monde. Si ce n'est moi, ça sera un autre, un compagnon inconnu qui traversera peut-être même la planète pour me venir en aide. La seconde, un secours ne s'interrompt jamais tant que l'accidenté n'est pas retrouvé. Nous n'abandonnons pas les nôtre, jamais. Tous les plongeurs et les spéléologues ne participent pas aux secours, bien évidemment, un certain nombre de critères doivent être réunis, expérience, forme physique, formations spécifiques, etc... Bien évidemment, pour toute personne normalement constituée, provoquer un secours ou participer à un secours sont bien les dernières choses auxquelles nous souhaitons être associés. Mais parfois, tout ne se passe pas exactement comme prévu. Il en a été ainsi à trois reprises et je n'en tire aucune fierté, aucune gloire, bien au contraire, un peu plus d'humilité face à la fragilité de nos vies. Ma première implication a eu lieu au printemps 2001. Un événement a secoué notre communauté et bien évidemment l'affaire a défrayé la chronique, les médiats raffolant de ces faits divers spectaculaires, anxiogènes et inhabituels. Un plongeur spéléo français, très actif à l'époque, n'est pas revenu d'une plongée d'exploration dans le dernier siphon connu de la grotte des Fontanilles dans l'Hérault. Une plongée et une exploration très « rock'n roll » ne respectant pas vraiment les usages tant au niveau des autorisations, des procédures, de l'organisation, des motivations même. Je ne reviendrais pas sur la genèse et la chronologie de l'accident. Tout a été dit et écrit sur le sujet. Vous trouverez un peu plus loin le récit des principaux acteurs, il sera bien plus fiable et authentique que mes paraphrases. L'accident est dû comme presque à chaque fois à une accumulation d'erreurs, de choix inadaptés, à une planification générale défaillante. Tout expérimenté qu'il était, le plongeur a été victime de lui-même et non pas de la cavité. Il a été retrouvé dans un état général très dégradé plus proche de la mort que de la vie, réfugié dans une cloche saturée en gaz carbonique après une attente interminable de plusieurs jours. Je pratiquais depuis à peine six ans et je commençais à peine l'exploration. L'ampleur du secours, sa complexité nécessitèrent la mobilisation de très nombreux plongeurs, de toute la France. Sans doute au regard de mon hyperactivité de l'époque, de ma jeune expérience, j'ai été sollicité pour participer à ce secours. Nous savions tous que la fin approchait et qu'elle serait heureuse. Le plongeur avait été retrouvé, sorti de l'eau et pris en charge dans une salle entre deux siphons. Il était installé relativement confortablement, médicalisé, encadré par une solide équipe et nous savions qu'il sortirait par lui-même, accompagné de plongeurs, peut-être nous. Nous sommes descendus de la région parisienne en voiture dans la nuit, nous étions quatre. L'ambiance était plutôt décontractée mais un secours reste un secours, personne ne fanfaronnait car nous savions tous que nous serions vraiment tranquilles uniquement à la sortie du dernier plongeur de la grotte. Surtout que les Fontanilles, avec ses cinq siphons, reste un beau parcours souterrain, éprouvant et engagé, même si la grotte a été parfaitement équipé avec des équipements fixes ce qui rend la progression beaucoup plus facile. Après une nuit sur la route, nous sommes arrivés au petit matin, nous avons dormis quelques heures et nous nous sommes préparé et mis à disposition pour intervenir. Nous ne savions pas encore si nous serions l'équipe qui accompagnerait la sortie du plongeur accidenté. Mais finalement, vu le bon état de santé et la récupération rapide, il sortira avec l'équipe présente dans la grotte. A peine évacué, nous pénétrions dans la cavité avec pour unique et seul objectif d'effectuer le grand ménage et de ressortir absolument tout le matériel utilisé pour le secours et pour l'exploration. De loin, pas du tout le plus expérimenté de l'équipe, j'étais choisi pour aller tout au fond, juste avant le sixième siphon, au camp où avait été pris en charge l'accidenté. Il se situe à plus d'un kilomètre de l'entrée, après cinq siphons et je ne m'étais jamais enfoncé aussi loin dans une cavité, je dépassais largement mon domaine de compétence. Mais à la fois emporté par l'énergie du groupe, l'émulation et une forme d'inconscience, j'acceptais, ravi d'avoir l'opportunité de me rendre à un endroit où peu étaient allé et encore moins iraient dans le futur. Malgré mon expérience, ma bonne forme physique, avec le recul, je n'aurais jamais dû aller au fond, aussi loin. J'étais excessivement mal équipé et je galérais avec mon équipement inadapté pour ce type de progression. C'est le grand danger de ces situations, engager des plongeurs au-delà de leurs capacités et de leurs compétences. Perdre la lucidité, ne pas être capable de voir la limite et de dire non. Par chance tout s’est bien passé mais j'ai appris que sur un secours ou sur une opération engagée, il est primordial d'évoluer en dessous de son maximum, un quart ou un tiers et de ne pas le dépasser. Plusieurs équipes ont été constituées, deux plongeurs devaient effectuer la navette dans le premier siphon afin de sortir tout ce qui serait déposé à sa sortie. Une autre équipe devait porter les kits de la sortie du second siphon au départ du troisième siphon. Et nous, Ludovic Giordano, Jean Pierre Stefanato et moi nous devions tout récupérer sur notre passage et apporter le plus possible à la sortie du second siphon. Les nombreux passages de plongeurs dans les siphons avaient largement dégradé la visibilité. Mais entre le siphon, le spectacle de la grotte était magnifique, richement concrétionné, des volumes immenses. Nous avons un peu profité à l'aller, bien que plus jeune, mes deux compagnons, beaucoup plus expérimentés que moi, tout en papotant de la pluie et du beau temps, sans effort apparent, me laissaient à chaque fois, une bonne centaine de mètres derrière. Je mettais plus de temps pour m'équiper ou me déséquiper, une partie de mon matériel, surtout ma bouée dorsale, ne tenait pas bien en place. Je n'avais pas le bon rythme, j'étais à contre temps, j'hésitais à chaque pas, ne sachant jamais où poser le pieds, sur quelle roche m'appuyer. Toujours en retard mais toujours là, j'ai enfin rejoint le terminus de notre promenade, la scène « désolé » de tout ce tapage. En effet, des affaires trainaient un peu partout, hamac, sac de couchage, couvertures de survie, bougies, nourriture, réchaud. Drôle d'impression de retrouver ce lieu vide, avec les traces ostentatoires de l'intensité des derniers jours. Car c'est ici, au départ du sixième siphon que tout s’est joué, l'espoir, la peur, l'attente, les plongées pour retrouver l'accidenté, l'annonce de sa découverte, vivant. L'excitation et le stress face à l'urgence pour le ressortir immédiatement. Et maintenant, le calme, le silence, la paix retrouvé et comme seul témoignage de cette frénésie, des objets inertes abandonnés provisoirement par nos prédécesseurs. Après avoir tout entassé tant bien que mal dans les kits de spéléo, nous prenons le chemin du retour, beaucoup moins volubile et beaucoup moins rapide aussi. Je ne me souviens pas exactement de ce que j'ai porté, du nombre d'aller et retour, mais je me souviens de la chaleur, du poids et surtout d'un kit en particulier que j'ai traîné jusqu'à la sortie. Celui dans lequel se trouvait le sac de couchage en pur duvet. Une saleté ce truc, impossible de s'enfoncer sous l'eau, trop léger, trop plein d'air. Obligé de batailler comme un forcené pour s'immerger et pour ne pas être emporté au plafond par ce flotteur. Et ensuite, une fois bien comprimé, imbibé d'eau, il se transforme en âne mort, en sac de plomb, vous collant au fond et en vous obligeant à gonfler votre bouée déraisonnablement, surtout la mienne qui menaçait à chaque instant de se décrocher. Mais je crois que l'équipe qui effectua le portage entre la sortie du second siphon et le départ du premier a le plus souffert. Le parcours était physique, avec de belles variations d'altitude et les kits étaient nombreux. Nous sommes ressortis du dernier siphon, chargés comme des mules, épuisés et heureux de clore ce secours en si bonnes conditions. La nuit était tombée depuis longtemps, nous avons été les derniers plongeurs à parcourir cette magnifique cavité. La lourde porte en acier s'est refermée, définitivement, tout du moins pour les plongeurs. En effet la municipalité avait décidé de les bannir au regard de la somme d'emmerdements récoltés à la suite de ce secours. L'eau de la cavité est utilisée pour alimenter la commune et les plongées étaient soumises à autorisation et l'accès réglementé. Il est certain que la légèreté de certains peut provoquer des cataclysmes et nuire fortement à la communauté cavernicole mais aussi à la population locale.
Liens et informations :
Un Secours, « Aide-toi et le ciel t'aidera. »
Pas besoin de partir à l'autre bout du monde, au milieu de l'océan, sur les pentes vertigineuses d’un montage au Népal ou au milieu de la jungle amazonienne pour se retrouver seul (et vulnérable) au milieu de la nature sauvage. L'une des particularités du monde souterrain réside dans cette transition immédiate entre un monde « civilisé », presque domestiqué et la nature brute, dans laquelle soudainement nous perdons tout soutien externe, nous sommes projetés, seul face à une force très puissante qui nous dépasse. Et c'est un peu ce qui m'est arrivé lors de mon accident dans la source du Gouron, dans le Doubs. Vous trouverez le lien du récit complet de cet accident en bas de l'article. J'ai été victime lors d'une plongée d'un OPI, œdème pulmonaire d'immersion en tentant de franchir le premier siphon de la résurgence. Je suis parvenu à supporter cette crise et à sortir de l'eau, mais pas dehors, pas à l'air libre, vers le fond, à la sortie du siphon, dans la rivière souterraine mais aérienne. Après avoir été presque mort, j'ai réussi par je ne sais quel miracle à me traîner jusque-là, vivant mais seul et en piteux état. L'œdème d'immersion est un véritable accident, pour faire simple, la victime se noie de l'intérieur, les poumons se remplissent d'un liquide et la suffocation devient de plus en plus importante. Donc, j'ai réussi à me réfugier dans cette galerie, dans l'espoir que mon partenaire de plongée me rejoigne. Mais ça ne sera pas le cas, pour différentes raisons et nous avons appris depuis à mieux gérer et coordonner nos plongées ensemble. Donc, j'étais victime d'un accident sérieux, à plus de cinq cents mètres de l'air libre, avec une galerie entre le jour et mon refuge remplie d'eau et d'une profondeur d'une cinquantaine de mètres. Je me trouvais donc en insuffisance respiratoire, en combinaison humide (une des causes de l'apparition de l'accident), avec un risque d'hypothermie significatif. Je disposais de quoi boire et manger, je pouvais me réchauffer à l'aide d'une couverture de survie et d'une bougie en créant un point chaud, je pouvais respirer de l'oxygène pur sur mon recycleur. A cet instant, je ne connaissais pas la cause de mon mal, j'étais tellement heureux d'être en vie après la crise vécue dans l'eau que je trouvais ma situation plutôt appréciable que désespérée. Mais très clairement, j'étais victime d'un accident, en situation de survie, plus de mort imminente mais très clairement en situation précaire. La gestion à venir me semblait relativement simple, j'avais le choix entre deux options. La première attendre de l'aide extérieure, si je ne ressortais pas Hervé viendrait aux nouvelles où il préviendrait les secours. Je serais pris en charge, médicalement, matériellement et je ressortirais d'une manière ou d'une autre. L'inconvénient résidait dans l'attente et dans le grand et réel danger de l'hypothermie. Car là, dans cette alternative je partais pour une très longue période d'attente mais j'étais certain d'être pris en charge et secouru efficacement. La seconde était de me retaper rapidement et de ressortir par mes propres moyens, de me secourir moi-même en quelques sortes. Ce qui était déjà le cas, car pendant mon analyse de la situation, je respirais de l'oxygène pur, je buvais et mangeais des aliments énergétiques, je me réchauffais grâce à mon kit de survie mis au point des années plus tôt et qui trouvait sa justification. Lorsque vous allumez une bougie entre vos jambes, enveloppé dans une couverture de survie, vous parvenez très rapidement à une température supérieure à 20°. Dans la seconde option, j'abandonnais tout ce dont je n'avais pas besoin, ce qui devait nous servir pour nous rendre au fond de la galerie. Je partais uniquement avec mon recycleur, mon propulseur et deux bouteilles en carbone ultra légères. Dans cette configuration, je pouvais regagner la sortie en moins de quinze minutes. Entre 20 heures et 15 minutes, mon choix a été rapide. D'autant plus qu'une fois le contact établi avec les secours, il faudrait attendre encore pas mal de temps avant de rejoindre la sortie dans des conditions acceptable. A cet instant, le temps est un ennemi, un danger, le plus grand de tout le refroidissement, l'hypothermie, inéluctable dans ma condition et ma configuration. Des deux dangers, je choisis celui que j'estime le moins menaçant. Je vais mieux, je récupère, je compte sur la rapidité et sur mon diagnostique pour sortir de là, vivant. La crise est survenue à la remontée, ça sera sans doute pareil au retour, mais là, la remontée, elle sera vers la lueur du jour, vers l'air libre. C'est décidé, je m'évacue rapidement de cette situation. Secours-toi, toi-même et vite. Néanmoins, je respire mal, le moindre effort me coute et me plie en deux. Mais, je sens en moi, peut-être d'une manière subjective, la force de surmonter cette seconde immersion. Je ressens évidemment une appréhension, mais je serre les dents, déterminé à sortir conscient et par moi-même de cette situation compliquée. Tout comme j'ai refusé de crever dans cette galerie, je refuse d'attendre les secours, de m'exposer à un affaiblissement inexorable, de mobiliser tout le barnum alors que je peux résoudre le problème et sortir de cette crise par moi-même. Déterminé, je m'équipe à nouveau, j'abandonne les kits superflus, nous viendrons les récupérer plus tard, aucune importance. Et la plongée va se dérouler exactement comme prévu. Je n'ai jamais été aussi concentré et vigilent au moindre détail. Je fonce vers la sortie, vers le soleil, vers la vie. Comme prévu, la crise recommence à la remontée, les difficultés respiratoires s'amplifient avec la diminution de la pression. Je serre les dents, je vois maintenant la lumière du jour tout au bout de la galerie, c'est gagné, j'expire le plus possible, je respire mal, mais dans quelques secondes, je serai dehors, extirpé de cette galerie qui aurait pu, peu s'en ait fallu, devenir mon dernier voyage souterrain. Seul dans un environnement dans lequel nous sommes totalement inadapté, nous ne pouvons parfois compter que sur nous même pour vivre, pour survivre. Dans ce cas, pas d'échappatoire, pas de plan B, pas de sortie de secours, pas de télécommande et de bouton pause. Vous êtes seul, vous devez choisir vite et bien. Vous êtes sorti du monde douillet dans lequel vous vivez habituellement où il suffit d'appuyer sur un bouton pour qu'on vienne vous aider. Ce type d'expérience donne bien évidemment un autre sens à la vie, à votre vie. Non seulement, par rapport à votre capacité à réagir face à des situations complexes, difficiles mais aussi par rapport à la relativité ou à l'importance des événements qui surviendront plus tard.
Un Secours, « Oui, nous pouvons le faire. »
Lors d'une expédition à Du'an en Chine, nous avions anticipé et prévu beaucoup de choses, mais pas tout et certainement pas les événements auxquels nous avons été confrontés, malgré nous. Toujours cette histoire de vie qui décide autrement, qui vous emmène là où vous n'aviez pas vraiment prévu d'aller. Lors de cette expédition, deux plongeurs chinois préparaient activement leurs équipements de plongées et de nombreuses bouteilles. Ils voulaient plonger à Daxing, la fameuse résurgence. Ils étaient à la recherche de la moindre bouteille disponible dans le centre de plongée pour constituer leur chaîne de sécurité. Je regardais ça de loin, plus préoccupé par nos explorations que par leur projet. A priori, ils allaient plonger profond, mais je ne connaissais pas leurs intentions exactes et de toute manière je n'avais pas à m'immiscer dans leurs préparatifs et dans leur projet de plongée. Il me semble que nous revenions de notre plongée à Baï Laï, assez loin de Du'an. La journée et les plongées s'étaient bien déroulées, nous étions fatigués mais heureux d'être là, dans cette région et ce pays incroyable. Le téléphone de Mandy, notre guide, sonna comme d'habitude, elle passait sa vie au téléphone. Mais au ton de sa voix, nous avons tout de suite senti une différence. Bien évidemment, nous ne comprenions pas un simple mot de chinois, mais le ton, le rythme, les sons différaient de d'habitude. Elle nous annonça le non-retour à la surface d'un des deux plongeurs à la suite de leur plongée. Le second était sorti mais en mauvais état, il se trouvait à l'hôpital. Elle nous demandait si nous pouvions plonger tout de suite pour secourir la victime. Bien évidemment, nous allions plonger et aider tout le monde dans cette histoire. Sans hésiter notre réponse a été oui, mais pas maintenant, demain. Nous sortions nous même de plongée, nos équipements, les mélanges gazeux, nous-même n'étions pas prêts pour nous engager dans une plongée de secours. Nos amis chinois découvraient malheureusement les aléas de la plongée souterraine, des explorations à grande profondeur. Bien évidemment, la nouvelle a plombé l'ambiance, le retour dans la voiture a été excessivement silencieux. Nous avons passé la soirée à planifier le lendemain, à préparer notre matériel, nos recycleurs, les mélanges gazeux, car la source est profonde et nous ne savions pas exactement jusqu'à quelle profondeur nous devrions chercher. Nous avons reçu quelques informations au sujet de leur plongée. Les deux plongeurs sont parvenus à planter le drapeau national un peu plus loin que le précédent terminus. Mais au retour, la situation s'est compliquée, ils ont perdu le fil dans la partie profonde. Cela a généré un stress très important. Le plus expérimenté a appliqué le protocole et il a retrouvé le fil mais son compagnon, moins aguerri se trouvait dans un état de fébrilité excessivement important. Lors de la remontée, le second plongeur, serait tombé en panne de gaz et son compagnon comme il est d'usage, aurait partagé le sien avec son détendeur de secours. Nous n'avons pas le détail exact mais lors de la remontée, il a été pris de panique, sans doute, toujours à cause de la gestion des gaz défaillante. Il a quitté son compagnon et il est remonté à toute vitesse vers la sortie. L'autre plongeur a continué à effectuer ses paliers, il a essayé de retrouver son ami mais sans résultat. Lui aussi « sonné » par la perte de son binôme, il aurait écourté partiellement la durée de ses paliers de décompression et il serait sorti prématurément de l'eau pour donner l'alerte. Excessivement choqué par la disparition de son ami, les signes d'un accident de décompression apparaissant, il sera conduit au caisson hyperbare de l'hôpital de Du'an. Nous passons donc la soirée dans une chambre de l'hôtel à nous organiser, à planifier les plongées et à élaborer les différents scénarios. Yves déposera quelques bouteilles de sécurité, Hervé partira à la recherche du corps et s'il parvient à le localiser, je le sortirais de l'eau. Nous étions à peu près persuadés que la victime serait collée au plafond, réfugiée dans une cloche dans l'hypothèse optimiste. Et sans doute à une profondeur raisonnable, entre 30 et 60 mètres environ. Nous demandons aux autorités locales d'établir un périmètre de calme afin de contenir les curieux et les villageois loin de nous et de la mise à l'eau. L'ambiance n'est plus du tout à la fête, la nuit sera courte et agitée. La disparition d'un plongeur même si c'est un inconnu reste toujours un choc pour nous. Ça pourrait être nous, nous le savons, mais surtout, un lien nous relie tous, quel que soit nos origines, notre nationalité, nos pratiques. Nous appartenons à la même « confrérie », c'est l'un des « nôtres », nous sommes meurtris par ces situations dramatiques. Nous connaissions très bien le traumatisme vécu par les amis, les familles, la compagne, les villageois, les responsables, les élus. Il ne s'agit pas uniquement d'un accident d'une pratique sportive mais d’un traumatisme profond pour une communauté. Le matin, personne ne la ramène dans la voiture roulant vers Daxing. Nous ne sommes pas abattus, juste concernés, concentrés sur le boulot à réaliser. Mandy nous indique combien il est essentiel que nous réussissions à retrouver le plongeur. En effet les élus et responsables sont confrontés à une crise importante avec les habitants du village. En permettant et en favorisant la plongée dans la région, ils deviennent les principaux responsables de cette situation. Les villageois semblent fort mécontents de cet accident et surtout de la présence éventuelle d'un mort dans leur source. Si jamais, nous ne retrouvions pas le corps et qu'il restait dans la source, celle-ci deviendrait « tabou » et plus personne ne voudrait ou ne pourrait utiliser son eau. Et cette source se situe au centre de la vie du village, elle alimente toute la vallée et encore de nombreux autres villages. La situation est excessivement tendue. Nous le sentons immédiatement à notre arrivée, d'habitude très volubiles et très bruyant, les villageois maintenus en retrait ne disent pas un mot. Nos hôtes nous attendent et nous sentons bien qu'ils comptent vraiment sur nous pour les sortir de cette situation. Nous descendons nos équipements du pick-up et nous commençons à nous équiper. Par bonheur nous plongeons ensemble depuis très longtemps, nous avons partagés des moments forts et intenses, nous pouvons compter les uns sur les autres et cela nous aide évidemment à gérer la situation relativement sereinement. Comme prévu Yves dépose les bouteilles, Hervé part à son retour et il va revenir assez rapidement ce qui finalement est une relative bonne nouvelle, la plongée a été courte donc peu profonde. Un secours profond ou très profond devient beaucoup plus compliqué et risqué. En effet, il a trouvé le plongeur, malheureusement décédé, collé au plafond dans la zone des 30 mètres environ. Il nous décrit sa position, à quel endroit exactement il se situe, comment il a matérialisé sur le fil principal sa situation. Nous informons les élus de la mauvaise nouvelle, nous confirmons le lieu de sortie du corps et le protocole pour le sortir de l'eau. Bon, c'est à mon tour. Un peu tendu, j'évacue l'émotion et je me concentre juste sur ce que j'ai à faire. Bien évidemment, j'aurais à sortir un ami, je ne réagirais pas du tout de la même manière. Je m'enfonce dans l'eau très laiteuse et je suis le fil qui descend rapidement dans la vasque. Je trouve le fil d'Hervé qui me conduit au corps du plongeur. Drôle de sensation, il est là, inerte, sans détendeur en bouche. Pendant une fraction de seconde, je me dis que non ça n'est pas possible, il va ouvrir les yeux, se réveiller et nous allons remonter ensemble. Mais oui, nous allons remonter ensemble, mais il ne se réveillera pas, plus jamais. Avant toute chose, je vérifie la pression de chaque bouteille, de son bi dorsal. Le pire du pire, certaines bouteilles contiennent encore du gaz et il aurait pu respirer dessus, des gaz respirables à la profondeur à laquelle il se trouve mais la panique n'a jamais été bonne conseillère. Je réunis toutes les bouteilles sur le fil, nous les sortirons plus tard. Je dégage son corps et je branche sa bouée sur une bouteille d'air prévue pour l'alimenter car je me doutais que son bi serait vide. Je mousquetonne une petite longe afin de ne pas le perdre en cas de soucis. Je le tiens doucement, presque délicatement, comme si je ne voulais pas troubler son sommeil. Nous entamons la remontée, heureusement les volumes dans cette source sont immenses et la manœuvre est plus facile. Je me suis déjà à plusieurs reprises retrouvé avec des morts mais jamais sous l'eau et sous terre. Mais encore une fois, pas de pathos, j'ai juste un boulot à faire, un service à rendre et je me concentre uniquement sur ça, sans émotion. Je souhaite uniquement bien faire, rendre cet homme aux siens, libérer le village et la source des mauvais esprits qui attendent tapis dans l'ombre. La remontée se déroule sans difficulté particulière, elle est rapide et je me dirige vers le lieu de sortie. Je laisse mon compagnon quelques mètres sous la surface et je sors pour vérifier que tout est prêt, que l'équipe est bien là. Je remonte en douceur et nous sortons de l'eau tous les deux, j'appuie son corps sur la berge. Je n'entends rien mais je sais que tous les regards sont dirigés exactement ici, sur nous, ceux des villageois, de sa compagne, de ses amis, de son compagnon de plongée. Je gonfle sa bouée, je coupe les sangles de son harnais et il est sorti de l'eau, allongé dans l'herbe et recouvert d'un drap. Je traverse la vasque et je retrouve le reste de l'équipe. Yves repart pour sortir le reste des bouteilles, c'est terminé, nous avons rendu le corps, nous avons fait ce que nous devions le faire, simplement comme n'importe quel autre plongeur souterrain aurait fait. Tout de suite, malgré la tristesse ambiante, nous nous sentons plus léger, l'air est moins lourd. Nous sommes chaleureusement remerciés par les élus et les responsables, mais que faire d'autre ? C'était bien la moindre des choses, une évidence de leur rendre ce service et de réussir, surtout avec l'immense générosité de leur accueil depuis plusieurs années. Son compagnon de plongée et ses proches aussi sont venus nous remercier et nous étions heureux de les soulager partiellement d'une peine immense. L'histoire ne s'arrête pas tout à fait ici. De retour au centre de plongée, libéré d'un sacré poids, nous déchargeons nos affaires. Mais nous ne pouvons pas rentrer dans les locaux, nous ne comprenons pas pourquoi. Mandy, notre guide, nous explique que nous sommes souillés en quelque sorte par les esprits de la mort, par des mauvaises « choses ». Nous devons par conséquent, sous peine de faire pénétrer et de contaminer le centre de plongée subir un rituel de purification. Un homme, sans doute un chaman, conduit la cérémonie, des chants, des gestes, des mouvements, de la fumée et des papiers sont brûlés dans une grande coupelle en métal au-dessus de laquelle nous devons passer. Pour la première fois, depuis hier soir, des rires et des cris de joies retentissent autour de nous. Nous voici propres, les mauvais esprits ont été repoussés et nous pouvons enfin pénétrer dans les vestiaires. Malheureusement il me semble que deux autres accidents sont survenus ces dernières années à Daxing. Les plongeurs chinois continuent d'explorer la cavité et ils ont dépassé dernièrement (printemps 2023) les 270 mètres de profondeur. Mais maintenant, s'ils sont capables de telles explorations, ils sont aussi capables de gérer leurs secours et leurs accidents.