Le Puits de la Villerie
Le puits de la Villerie
L'important pour trouver des belles plongées, dans des beaux et nobles Trous de Chiottes, est de disposer d'un réseau d'indicateurs. Alors bien évidemment, il est indispensable de soigner ses relations et de maintenir des contacts permanents avec les "Gens du Cru", comme on dit. Alors là, pour peut qu'il n'y ait pas de plongeur dans le coin, vous avez toutes les chances de dégoter de belles plongées, dans de superbes cavités. Spécialité oblige, nous avons une image de marque à défendre. C'est ainsi que nous avons été incidemment contactés pour plonger dans un phénomène original. La cavité est à la fois un captage en eau de la Ville du Blanc, donc une buse en béton. C'est aussi une ancienne cavité aveugle et aérienne, découverte par hasard, par les ingénieurs lors de la construction du puits pour atteindre l’eau. Mais c'est maintenant une cavité noyée, car un tir d'explosif réalisés par les dits ingénieurs a ouvert une arrivée d'eau. Elle a envahi la cavité naturelle, les deux puits d'accès et les galeries basses artificielles. L'ensemble est donc devenu infréquentable pour toute personne normale. Vous le remarquerez, je pars du principe que toute personne non plongeuse est normale. Ce qui sous-entend très clairement que toute personne affublée de l'accoutrement ridicule du plongeur spéléo ne l'est pas. Cela va de soit bien évidemment, car pour fréquenter de tel lieu, mais surtout pour le faire par plaisir, relève de l'anormalité pathologique chronique…! Depuis, les ingénieurs pompent et les plongeurs plongent, mais pas au même endroit. Alors avant de rentrer dans le récit trépidant de ces plongées fantastiques, nous ne remercierons jamais assez nos copains spéléo berrichons qui nous ont dégotté cette petite merveille. Le lieu est caractéristique et original. Ici pas de vasque, ni d'eaux cristallines. L'emplacement est marqué par une belle pelouse verte tondue de frais et par un édifice en béton, caractéristique des stations de pompages et autres locaux techniques municipaux. Le premier puits s'ouvre dans le local technique, il est occupé par les tuyaux et il débouche 30 mètres plus bas directement dans la cavité naturelle. Le second puits est fermé par une dalle en béton, coiffée d'un couvercle en acier. Il communique avec la cavité naturelle par plusieurs galeries artificielles noyées. Il sera notre accès à la merveille des merveilles. Première Intervention. Juin 2004. Une vieille échelle rouillée s'enfonce dans le noir et dans l'eau. La surface se trouve à une dizaine de mètres de l'ouverture, Voilà le cadre idyllique est posé. Je suis certain que vous nous enviez un peu… C'est normal, il y a de quoi. Nous nous équipons tranquillement. Ici notre intervention revêt un caractère "officiel". En plus de nos copains sépléos qui installent les dispositifs de cordes, un représentant de la municipalité s'est déplacé. Il y a aussi des hydrogéologues, le technicien de la station et quelques promeneurs attirés par cette animation originale. Nous descendons les bouteilles dans le puits. Les cordes pendent de partout et on se laisse filer plein vide vers la surface. Le puits est assez large, nous tenons à deux, sans nous gêner. L'eau est claire, mais je me doute que les choses ne vont pas en rester là. Qui dit calcaire, dit forcément argile et comme justement lorsque les pompes marchent à plein régime, l'eau devient laiteuse… Enfin nous descendons dans le puits noyé. Nous laissons une bouteille d'O2 aux paliers et une de sécurité à – 15 m. Dans le doute, mieux vaut être prévoyant, nous ne savons pas ce que nous pouvons découvrir. Comme prévu, la visibilité s'estompe très rapidement, elle est remplacée par un nuage laiteux épais d'argile. Alors c'est dans la plus grande confusion que nous tentons de trouver notre chemin. Trois galeries partent en principe au fond du puits. Mais elles sont toutes colmatées par l'argile liquide. L'eau s'épaissit et la nuit aussi. Les lampes sont allumées, mais aucune lumière ne transparaît. Ca, y a pas à dire, c'est une vrai plongée de trou de chiotte. Michel a trouvé une galerie à – 13 qui communique avec la cavité naturelle. Je retends la corde qui nous relie à la surface et j'attache le fil pour m'enfoncer dans la galerie. La visibilité revient et en effet l'eau est limpide. La section de la galerie est originale, elle fait 1.8 x 2 m et elle est bien taillée. C'est l'accès qui a été taillé pour trouver la cavité naturelle. Elle débouche dans le vide et dans le noir, juste en face des tuyaux et des buses de pompages. La visibilité est excellente, j'attache le fil à un clou, c'est tout ce qu'il y a…! Je fais demi-tour. Nous sortons de l'eau, autonomie oblige, nous replongerons cette après midi. Nous sortons du puits, attendu et accueillis par un auditoire impatient de partager nos découvertes. C'est vite fait, car nous avons perdu tellement de temps pour sortir de cette mélasse liquide que le plus intéressant sera pour cette après midi. Nous profitons du soleil et du repas offert par la municipalité. Je repars en premier afin d'installer le fil, Michel partira en second pour filmer la cavité afin de montrer l'état des parois et les quantités d'argile en dépôt. La sinécure de l'équipement recommence, la chaleur en plus. Je suis content de toucher l'eau fraîche et toujours aussi touillée. J'enlève le baudrier et je fixe les blocs, c'est parti. Je retrouve l'absence presque totale de visibilité, dans quel état nous avons laissé cette galerie…! Je suis le fil et je retrouve mon dévidoir quelques mètres plus loin. Mais mauvaise surprise, la touille s'est répandue dans la cavité naturelle, alors que je l'avais quittée limpide. Les quinze minutes de pompages en sont sans aucun doute la cause. Les pompes qui se situent juste en face de la galerie d'accès, ont aspiré les particules. Peu importe, je remonte et assez vite je retrouve une très bonne visibilité. Je visite la grotte et elle est très jolie. Le calcaire est très blanc. Je remonte au plafond et je sors dans une toute petite cloche. Nous sommes les premiers plongeurs à tremper nos palmes dans cette grotte. Elle a déjà été visitée par les hommes, mais avant qu'elle s'ennoie. J'accroche le fil aux rares becquets. Je m'engage dans une galerie, une sorte de petit méandre très étroit. Le sol est recouvert d'une couche d'argile compacte et épaisse. Il se rétrécit rapidement pour devenir presque impénétrable. Je fais demi-tour avant de rester coincé. Je redescends afin de visiter la partie basse de la cavité. A partir de 14 mètres je retrouve mon nuage de touille. Je navigue au touché, les yeux ne servent plus à grand chose. J'aperçois à peine le halo de mes lampes. Je descends, encore et encore, tout doucement. Je n'ai absolument aucune idée de la profondeur à laquelle je me trouve, je ne peux pas lire mes instruments. L'eau s'épaissit, je descends encore, je ne dois pas être très profond, pas de narcose, les bruits des bulles ne sont pas encore métalliques. Ca y est, je sens le fond, mes palmes rencontrent le sol. La nuit totale, absolue me recouvre. Je barbote dans la boue liquide. Comme à chaque fois dans ces situations, je ferme les yeux et j'utilise ce qu'il me reste, touché, ouïe, pression. Le sol est plus ferme que la boue. Je le touche, il est très doux, c'est du sable. Plongée de plage, j'ai déjà entendu ça…. Sous les pompes, la plage…! Je saisis un flacon et j'effectue un prélèvement de "sédiments". Je m'aventure un peu au fond, mais je ne remarque pas grand chose. Je n'ai trouvé aucun endroit pour accrocher mon fil. Je ne connais pas la situation de mes manomètres, mais comme ça, au pif, je pense qu'il ne doit pas être loin de l'heure du retour. Bon, je remonte. De retour dans la zone des 13/14 mètres, la visibilité redevient correcte. Attention, pas de quoi perdre la tête. Mais assez pour lire difficilement mes cadrans. – 29 mètres. Voilà où se trouve le fond. Pour les manos, en effet, il est temps de rentrer. Je fixe le départ du fil sur l'échelle métallique. C'est mieux que sur la corde, surtout lorsque nous voudrons la remonter. Je laisse la place à Michel qui va aller nous faire des images, à travers les particules… Nous ressortons un peu déçu, car nous espérions en faire plus et en trouver plus. Mais à priori, nous pourrons bientôt revenir afin de compléter nos observations. Nous aimerions localiser les arrivées d'eau et puis voir si la salle est reliée à un réseau noyé souterrain accessible aux plongeurs… Seconde Intervention. Octobre 2004. Nous revenons compléter nos observations sur cette cavité. Nous redescendons dans le puits et nous nous équipons dans l’eau limpide, au fond du puits. Nous prenons garde à ne lâcher aucune partie de nos équipements car ils s’enfonceraient dans une dizaine de mètres d’argile et il serait impossible de les retrouver. Michel part avec la caméra afin de filmer la cavité. Je pars avec le fil d’Ariane, le compas et la plaquette pour noter les observations concernant la grotte. Nous évoluons avec de grandes précautions afin de ne pas soulever des nuages d’argile et d’anéantir toute visibilité. Mais celle-ci est tellement fine et volatile que le simple fait de passer dans la galerie, même sans palmer, soulève immédiatement des volutes qui se répandent partout. Nous débouchons dans la salle, je plonge dans le puits, précédé par la touille qui dégringole les parois. Je touche le fond en même temps que le nuage et j’inspecte la partie basse. Le sol est recouvert d’un sable fin, je ne trouve aucune arrivée d’eau. J’explore la salle du pompage, mais rien de notoire n’est à remarquer. Les parois sont assez propres, mais la visibilité se dégrade très rapidement, Michel me rejoint et à deux nous terminons d’anéantir les quelques restes d’eau encore à peu près propre. Je le laisse et je pars dans la seconde salle. Ici, l’eau est presque limpide, j’effectue des relevés topos et je cherche en vain une arrivée d’eau. La partie haute de la salle est très intéressante. Je remarque deux départs de galerie. La première est tout aussi impénétrable que lors de notre seconde plongée. Dans une autre partie, je découvre même une cloche d’air et un second départ. Je me glisse dans le boyau qui est très étroit. Heureusement que je suis en configuration latérale, sinon, je ne passerais pas. Je parcours dix mètres chaotiques et tortueux pour sortir à l’air libre. La galerie n’est pas haute et l’eau recouvre le sol. J’attache soigneusement le fil et je dépose mes deux douze litres pour continuer à quatre pattes dans ce petit boyau. Je regarde mon ordinateur, je respire, je suis à l’air, mais la galerie est sous pression. Moins 2,7 mètres. Je parviens au départ du second siphon, après 15 mètres de crapahut. Dommage avec des 2 litres, ça ne passera pas, il faudrait des 4 litres. Ce sera peut-être pour une autre fois. De toute manière, il est temps de rentrer sinon, je vais dépasser mon horaire de retour. Je m’équipe à nouveau et je repars, j’ai quelques difficultés à récupérer le fil, il s’est coincé dans une fissure dans la roche. J’avance dans la touille totale, mais bon maintenant, ça ne me fait vraiment plus aucun effet. Pas blasé, mais on va dire « c’est notre quotidien ! » Je retourne dans la salle où l’eau reste assez claire et je redescends vers la sortie. À partir de 15 m de profondeur, retour dans le brouillard. Je retrouve la galerie et ensuite le puits de sortie. Une plongée sans histoire de 70 minutes. Malgré nos rêves, nous n’avons pas trouvé de galerie qui alimente cette grotte aveugle. L’eau passe sans doute à travers le fond sableux de la grotte. Mais nous avons été les premiers plongeurs à évoluer dans cette très jolie cavité. Les parois de la salle sont découpées, la roche est blanche, c’est superbe. Nous ressortons et nous ne plongerons pas cette après midi. Le taux de turbidité de l’eau a explosé et il faut laisser la « soupe » retombée afin que les robinets ne débitent pas une soupe marron qui serait du plus mauvais effet. Nous regardons les images tournées par Michel et ainsi les non plongeurs peuvent découvrir cette cavité qu’ils ne visiteront jamais. Le tout se déroule autour d’un solide casse croûte et d’un petit verre de rouge. Participants spéléologues : Thierry Masson, Yvan Gillard, Henri Vaumoron. Plongeurs : Michel Dessenne et Pierre Eric Deseigne. Un grand merci à Héléne Favre de nous avoir accordé sa confiance pour ces plongées. Exploration 2004