Octopus.2 - N°13
A chaque numéro, je vous raconterais ma dernière plongée d'exploration. Petite ou grande première, je partagerais avec vous les moments intenses de la découverte des galeries inconnues des sous sols de notre planète. Depuis de nombreuses années nous explorons la grotte de Corveissiat avec une bande de copains (le fameux gang des « Bulles Maniacs »). Cette cavité atypique et contrastée offre des galeries larges et spacieuses mais elle est aussi défendue par quelques passages assez sélectifs, étroits et inconfortables. Elles comportent de nombreux siphons et les franchissements de certains bien que courts imposent un effort violent. Les galeries sont sans doutes magnifiques mais la visibilité très limitée nous prive du spectacle. En plus de dix ans, nous n'avons bénéficié que d'une seule plongée d'exploration avec de bonnes conditions, soit six à huit mètres de visibilité. En temps normal, elle ne dépasse pas les trois mètres, les bons jours. Enfin, les eaux de cette rivière sont polluées à la fois par les villages mais aussi par les produits employés par les agriculteurs. Comme vous le constatez, toutes les conditions sont requises pour offrir un cadre de plongée absolument formidable... ! Dans ce contexte, je l'avoue ma motivation pour cette exploration s'est émoussée au plus haut point. Je crois que seul, je ne serais jamais retourné au fond, à 1660 mètres de l'entrée, dans le douzième siphon. Mais depuis quelques temps, nous avons décidé de continuer à deux. Et c'est donc avec et grâce à Hervé Cordier, encore tout emprunt d'énergie et d'amour pour cette grotte, que nous avons entrepris coûte que coûte d'y retourner une fois de plus. Nos dernières tentatives, nombreuses, ont toutes avorté, le plus souvent à cause de la météo. En effet les passages étroits en cas de pluie jouent un véritable effet venturi et interdisent assez rapidement l'accès à la seconde partie du réseau qui redevient large et spacieuse. Mais cette fois, rien ne semblait arrêter notre entrain. De l'équipe, nous n'étions plus que deux. Les autres comme par hasard avaient tous un mot d'excuse pour justifier leur absence. Comment leur en vouloir ? Seul un copain de Lyon est venu nous aider une après-midi pour porter notre matériel à l'entrée de la grotte. L'envie d'aller au fond pour retrouver la fin du fil s'est rapidement émoussée. Dès le portage de tout le matériel dans la rivière pour atteindre le départ du S1, la ras le bol est remonté. Le premier jour, nous avons déposé tout l'équipement à cet endroit puis à la sortie de la partie étroite, au départ du septième siphon. Dans ce que j'appelle le garage. Lorsque j'ai vu la visibilité, j'ai tout de suite su que nous étions partis pour une plongée extraordinaire. Des heures à palmer dans la touille, merveilleux. Oui, évidemment, pas question d'emporter des propulseurs, d'une part, ils ne passeraient pas dans les étroitures et ensuite, avec cette visibilité, à quoi bon... ! Tout à la palme... ! Faire durer le plaisir... ! Le lendemain, super motivé, nous n'avons pas plongé. Repos et préparations minutieuses du reste de l'équipement. Et enfin, le troisième jour, le réveil a sonné à six heures du matin... ! Quelle idée... ! Nous voilà parti pour la grande aventure. Nous sommes montés à la grotte et nous nous sommes équipés en silence. Le franchissement de la première partie n'a pas posé de problème particulier, mais nous étions en configurations légère. J'ai commencé à regretter d'être venu lors de l'habillage, avant le vrai départ. En effet, vous imaginez bien que la configuration pour une voyage de plus de douze heures sous terre et pour des kilomètres de plongées n'est pas des plus légère. A cause des étroitures, nous plongeons en « sidemount », deux dix litres pour ma part, avec un nitrox comme diluant pour les recycleurs. Ensuite, nous ajoutons deux recylceurs latéraux, les légendaires « Joky ». A cela, nous ajoutons deux bouteilles d'oxygène pour les alimenter et enfin, nous emportons une bouteille, une S80, en sécurité afin de pouvoir immédiatement passer en circuit ouvert en cas de coup dur. A cela, nous ajoutons trois litres de boissons énergisantes et de récupération, des barres énergétiques, des lampes de secours, du matériel topo, quelques outils pour bricoler en cas de panne.. !Et un deuxième étage que je peux clamper sur n'importe qu'elle bouteille afin de respirer dessus. Nous avons mis plus d'une heure à nous transformer en une sorte de Robocop des siphons. Avant même d'avoir attaqué les choses sérieuses j'avais déjà envie de rentrer. L'affaire ne s'est pas arrangée lorsque le tuyau de ma purge urinaire s'est décroché sournoisement. J'avais envie de pleurer... ! J'allais me pisser dessus toute la journée... ! Bon mouillé pour mouillé, équipé pour équipé, j'ai décidé d'y aller quand même. Et à chaque fois que je regardais Hervé, je ne me sentais pas la force ou la lâcheté de lui refuser cette exploration. Lui qui m'avait aidé de si nombreuses fois pour mes premières exclusives, en solitaire. Car pour cette plongée, nous avons mis en place une vraie dynamique d'équipe. Nous partons ensemble, nous plongeons ensemble et si l'un d'entre nous flanche, l'autre rentre avec lui. Nous mutualisons aussi les équipements, les compétences, les motivations. L'un sans l'autre rien n'est possible. Mouillé comme un mioche, je suis Hervé dans le septième siphon aussi glauque que le quai de la gare du Nord, un jour de pluie et de brouillard en plein hiver. Je vous éviterais la description des plongées monotones à regarder par terre, la roche et les sédiments... ! Les siphons se succèdent sans difficultés majeures. Juste un passage à quatre pattes, de deux ou trois mètres, pas bien long mais énervant. J'ai quand même bien failli repartir à la sortie du siphon le plus profond de la cavité (26 mètres). Pour aller dans le onzième siphon, le plus long à ce jour (plus de 500 mètres) il faut sortir d'une piscine naturelle. La prochaine fois que vous irez à la piscine, vous essayerez de sortir de l'eau avec la même configuration que nous... ! J'ai regardé Hervé et je me suis demandé quant est ce que j'allais lui annoncer qu'il pouvait s’asseoir sur sa première et que je rentrais boire l'apéro. Quand je l'ai vu se débattre comme un beau diable, franchir l'obstacle et barboter dans le départ du siphon, je n'ai pas eu le courage de le laisser tomber. En plus, il m'encourageait autant qu'il pouvait. Du beau soutien moral, y a pas à dire. Alors, je me suis fait violence mais toujours pas convaincu d'aller au bout. A chaque pose, j'en profitais pour m'alimenter, pour boire et pour continuer d'inonder ma combinaison. Non content de me vider à l'intérieure, ma purge de bras s'est mise à fuir. Et de siphons en siphons, nous sommes enfin parvenus au dernier départ et au bout du fil. J'étais bien évidemment allé trop loin pour rebrousser chemin et même si je détestais ce fichu trou de chiotte, je décidais de rester là pour Hervé, avant toute chose. Il a sorti son dévidoir, j'ai fait les nœuds. Depuis le jour où, dans cette cavité, je me suis retrouvé sans fil, je suis assez soigneux sur cette affaire. Il avançait vers l'inconnu, je fixais la ligne. Concertation sur les directions à prendre, car malgré le cap, nous buttions sur la roche, mauvaise visibilité oblige. Premier dévidoir vidé, je lui tends le mien.... ! Après plus de 200 mètres de progression et un certain ras le bol de ces conditions de plongée, nous décidons de rentrer à la maison. Dans un état normal, j'aurais continué, tant que j'avais du fil et de l'autonomie. Mais là, je ne me suis pas fait prier pour faire demi tour. Encore une fois, j'ai réalisé l'amarrage final à 1860 mètres de l'entrée et ensuite je n'ai jamais palmé aussi vite de ma vie. Le « frog kick » en mode Benny Hill... ! Je commençais à ressentir les effets du froid, j'étais trempé des pieds à la tête, la sortie se trouvait à plus de cinq heures... ! Heureusement, les boissons et les barres énergétiques compensaient très efficacement les déperditions liées au froid et aux efforts. J'étais tellement pressé de rentrer et de ne plus plonger dans cette grotte que j'ai même réussi après plusieurs navettes à rapatrier tout mon matériel à la sortie du S1. Le lendemain je n'aurais pas à plonger, juste à effectuer le portage dans la rivière souterraine d'entrée. Après environ douze heures passées sous terre, après un aller et retour d'environ 3700 mètres dont la majorité en plongée, nous retrouvions la douceur de l'été et la lueur du jour. Alors, même si cette exploration aura été difficile, je sais que nous y retournerons, forcément et inévitablement. Oui, je le concède, il doit y avoir un peu de folie dans un tel acharnement. Elle aura été possible grâce à l'utilisation de recycleurs avec d'une logique de redondance complète. C'était notre première exploration en double recycleurs. Nous avions réalisé plusieurs plongées d'entraînement mais jamais en première et jamais aussi loin. En cas de panne ou de défaillance d'un appareil nous pouvions passer sur l'autre. Nous le testions régulièrement pour voir s'il restait opérationnel. Mais nous avons effectué toute la plongée sur le même recycleur. Pour ma part, je disposais d'assez de gaz pour m'assurer une troisième redondance confortable en circuit ouvert dans le pire des cas. Enfin, cette découverte aura été possible grâce à ce désir d'avancer ensemble, à deux, de partager un moment fort, une passion commune et de se soutenir quoi qu'il arrive. Et bien évidemment, c'est ça la plus belle réussite de cette exploration.