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Grotte de Corveissiat. Dehors
Grotte de Corveissiat. La rivière.
Grotte de Corveissiat. Les siphons.
Grotte de Corveissiat. Les lacs et les salles.
Topographie
Grotte de Corveissiat.

Un long voyage dans les ténèbres. Je vais vous présentez une vieille amie, nous nous connaissons depuis plus de vingt ans. Lorsque nous avons commencé à nous fréquenter, environ deux cent mètres de galeries étaient connues, depuis nous avons effectué un peu de chemin et l’exploration est loin d’être terminée. Nous sommes à plus de deux kilomètres de l’entrée et il est difficile d’évaluer ce qu’il reste encore à découvrir mais nous n’avons sans doute pas effectué plus de vingt à trente pour cent des découvertes. Cette cavité est paradoxale, unique en son genre et atypique. Le porche monumental donne tout de suite la mesure des choses, il s’agit en effet d’un réseau important avec une belle rivière souterraine. Mais ici, la terre a tremblé, en des temps immémoriaux et une partie de la galerie s’est effondrée, formant un barrage naturel. Donc l’eau ne pouvant plus sortir a creusé une fissure qui est devenue une « petite » galerie, jeune et donc encore très étroite. Ce petit conduit, à peine assez large pour le passage d’un plongeur doit évacuer la totalité de l’eau du réseau, c’est un peu comme si vous cherchiez à vider une piscine olympique par un tuyau d’arrosage, la pression en plus. Donc, à la moindre pluie, il devient très compliqué ou impossible de franchir le cinquième siphon, tant le courant est violent. D’autre part, plusieurs passages obligent le plongeur à sortir de l’eau et à crapahuter avec tout son matériel pour franchir les obstacles. La visibilité est rarement bonne et le plus souvent mauvaise, ceci couplé aux dimensions importantes des galeries et vous évoluez dans une ambiance particulière et pas tout à fait féerique. Enfin, la cavité subit depuis de nombreuses une pollution constante et importante. Ces obstacles ont compliqué le travail des explorateurs et ils ont retardé l’exploration. Par chance, nous sommes arrivés « à temps » et nous avons pu découvrir le « passage secret » et magique conduisant à la seconde partie du réseau. Malgré tous ces points un peu rébarbatif, la grotte de Corveissait est intéressante, d’une part par son potentiel d’exploration. Mais aussi par la qualité et la variété de ces galeries. Lorsque la visibilité est acceptable, c’est très joli et enfin les parties exondées sont exceptionnelles, notamment avec deux grandes salles d’effondrement spectaculaires, des rivières et lacs souterrains impressionnant. Enfin, notre histoire avec elle, est comme toute les histoires, avec des hauts et des bas. Nous lui avaons fait quelques infidélités mais attirés comme par un aimant, nous finissons toujours par y revenir. La petite histoire. En 1954, les Lyonnais du Clan de la Verna, avec Michel Letronne et Daniel Epelly plongent le premier siphon. Ils ressortent dans le premier lac, sans trouver la suite Vingt ans plus tard, en 1974, Christian Jarret, Lylian Rota, Christian Locatelli et René Niogret du SDNO (Société des Naturalistes d’Oyonnax) plongent à plusieurs reprises sans trouver la suite. Un an plus tard, en 1975, Lylian Rota et René Niogret traversent le S2 suivis par Christian Locatelli et Didier Loomans. Quelques jours plus tard, Christian Locatelli et Lylian Rota traversent le S3, ils ressortent dans un lac et ils découvrent une grande salle. Un effondrement se produit suite à d’importants tirs d’explosifs sur la route au-dessus de la grotte. Le passage du troisième siphon est bloqué. S’en suit une importante pollution liée aux activités humaines et notamment aux rejets d’une porcherie qui déverse ses effluents dans la nature rendant l’accès à la cavité impossible tant les eaux sont devenues pestilentielles. A partir de 1990, la pollution se réduit suite à l’arrêt des activités de la porcherie. A partir de cette période, les plongeurs du SDNO, Philippe Buire, Jean Marc Poncin, François Bornéat et Laurent Mestre replongent dans la grotte. Ils entreprennent la désobstruction du passage dans le troisième siphon. En 1996, Philippe Buire assuré par JM Poncin escalade la cheminée derrière le S2, sans découvrir de réseau supérieur. En 1998, Philippe Wohrer plonge plusieurs fois dans la grotte, accompagné de Nicolas Maignan* qui trouve enfin le passage dans la trémie composée de gros blocs tombés de la grande salle d’effondrement à la sortie du troisième siphon. Ce groupe de plongeurs parisiens, débute une longue séries de plongée et d’exploration. En 1999, Marc Ferrante et P Wohrer découvrent le quatrième siphon et ils débouchent dans la quatrième salle. Une galerie horizontale est parcourue jusqu’à un siphon obstrué par de gros blocs. En parallèle, des escalades sont réalisées par l’équipe du SDNO toujours dans la première salle. L’année suivante, en 2000, Locatelli et Beltrami plongent le siphon découvert, au bout de la galerie horizontale dans la quatrième salle. La trémie instable bouge, ils renoncent suite à cet incident. Locatelli, Buire et Bornéat découvrent le cinquième siphon, dans lequel ils butent sur un « bouchon de sable », le courant arrive par une faille en plafond, jugée impénétrable. En 2001, l’équipe de plongeurs parisiens, (baptisés depuis peu les Bulles Maniacs) continue et persévère. Michel Dessenne, s’enfonce dans la faille au fond du S5 et aperçoit la suite de la galerie. Quelques jours plus tard Hervé Cordier et Pierre Éric Deseigne franchissent l’obstacle, ils découvrent un sixième siphon, puis le grand lac, la grande salle d’effondrement et le départ du septième siphon. L’année suivante, en 2002, ils explorent le siphon 7, 8, 9 et 10 avec arrêt sur autonomie à – 25m. Après de nombreuses tentatives infructueuse, la suite de la galerie est découverte en 2005 et le dixième siphon est sortie. Quelques jours plus tard, Cordier et Deseigne plongent le onzième siphon et ils s’arrêtent sur autonomie après avoir exploré cent mètres de galerie. L’année suivante, en 2006, ils sortent le siphon après avoir découvert 400 mètres de nouvelle galerie noyée. Ils s’arrêtent devant le douzième siphon. Arrêt au départ du S12, plus de 570 m de nouvelles galeries sont explorées. L’exploration du douzième siphon commence, en 2009, ils s’arrêtent à 1660 mères de l’entrée, en 2012 après une longue période d’interruption, ils s’arrêtent à 1860 mètres de l’entrée. En mai 2017, Hervé Cordier soutenu par une petite équipe de plongeurs s’arrêtent à plus de deux kilomètres de l’entrée, avec le noir de l’inconnu devant ses phares. Données techniques. Localisation : Ville de Corveissiat (Département de l’Ain, région Rhône Alpes, France). Accès : En sortant du village, sur la route départementale 936, en direction de Thoirette/Oyonnax, prendre au niveau du belvédère le sentier qui descend dans la reculée, à droite de la route. Se garer en bas de ce sentier et ensuite, remonter le chemin à pieds jusqu’à l’entrée de la grotte. L’accès de la cavité est soumise à autorisation et réglementé. Pour y plonger, il est nécessaire d’une part d’effectuer une demande pour obtenir la clef de la grotte et ceci en dehors des périodes d’hivernage des chiroptères . Spécificités : Résurgence multisiphons, avec plusieurs passages étroits et très étroits. Alternance de galeries noyées et exondées avec quelques passages en progression terrestre. Visibilité souvent médiocre et débit sensible, en cas de fortes pluies, mise en charge de moins de douze heures. Seconde partie de la cavité inaccessible dès qu’il pleut, lié à l’effet venturi et à l’accroissement du débit dans le siphon 5. Longueur totale: 2100 mètres Longueur noyée : 1500 mètres Longueur exondée : 600 mètres Profondeur Maxi : 45 mètres Nombre de siphons : 12 Nombre de salles : 11 Pollution : Cette cavité est soumise à une pollution constante et importante. La rivière souterraine se transforme parfois en véritable émissaire et les odeurs pestilentielles d’eaux usées, d’hydrocarbures rendent le séjour fort désagréable. Les analyses de l’eau et des sédiments ont montré une forte pollution domestique, mais aussi d’origine « chimique », liée aux produits employés par l’agriculture. Ceux ci, entraînés par les eaux de pluie, entrent sous terre et le plus souvent, ils se déposent dans les sédiments et ils sont brassés à nouveau à chaque accroissement de débit. Il n’est pas rare non plus de croiser sous l’eau des traces de notre monde consumériste, jouets, plastique, serviettes hygiéniques et autres joyeusetés. Ces pollutions sont liées à des installations vétustes, à un traîtements des eaux ménagères insuffisant, à des pratiques agricoles obsolètes et à des négligences ou accidents liées à l’activité humaine. D’ailleurs, au siècle précédent, le village installa un système de pompage afin de s’alimenter en eaux. Mais très vite, les enfants et les villageois tombèrent malades, empoisonnés par leurs propres rejets ce qui mis un terme rapide à l’utilisation des eaux de la source.

Les Explorations.
Explorations 2001.

Décembre. Nous plongeons pendant plusieurs jours dans la grotte. Les résultats sont à la hauteur de nos engagements. Michel Dessenne pressent la suite dans le « cul de sac » du S5. En effet le passage est dans la faille remontante. Hervé Cordier et Pierre Eric Deseigne passent dans l’étroiture. Ils sortent le S5 et débouchent dans une conduite forcée inondée puis aérienne. Elle se divise en deux branches. L’une conduit à un court S6 qui ressort dans un lac. Une salle n°5 est découverte au bout de ce lac. Elle est de belles dimensions, 40 mètres de haut, trente de large. L’autre conduit emmène à une cheminée très argileuse et à un petit siphon, non plongé. Nous plongeons le lac et nous entrevoyons le départ du septième siphon. Temps passé sous terre, 3 heures.

Explorations 2002.

Fevrier : Serge Césarano, Hervé Cordier et Pierre Eric Deseigne plongent le S 7. Ils ressortent dans une salle modeste, la voûte aérienne de la rivière. Ils continuent dans le S8, ressortent dans la rivière souterraine. Ils arrêtent leur progression devant le départ supposé du S9. Temps passé sous terre, 6 heures. Mars : Pierre Eric Deseigne lors d’une plongée en solitaire découvre le S9. La galerie s’enfonce dans la zone des – 25 mètres. Il s’arrête sur autonomie. Temps passé sous terre, 3 heures 30. Avril : ervé Cordier et Pierre Eric Deseigne replongent le S9 et ils prolongent de quelques dizaines de mètres le siphon sans le sortir. La suite reste à trouver, car la galerie forme en cet endroit un cul de sac. Temps passé sous terre, 5 heures 30. Juin : Pierre Eric Deseigne replongent le S9. Visibilité médiocre et courant invisible. Toujours pas de suite. Niveau des eaux très basses, une partie des siphons se vident et se transforment en voûte mouillante. Temps passé sous terre, 3 heures 30.

Explorations 2003.

Mars : Un petit tour pour rien. Une fois de plus, nous sommes confrontés aux caprices et à la sensibilité de cette grotte. Le S5 est rempli jusqu’à la gueule et le débit empêche les plongeurs de le franchir. Malgré de faibles précipitations. Ce siphon numéro 5 est très étroit, c’est une conduite forcée par laquelle passe la majeure partie de l’eau de la résurgence. Il ressemble par ces dimensions à un route vicinale. Pour le reste, les siphons (de 1 à 4 et de 6 à 9) ressemblent plus à des autoroutes. Le siphon 5 est de faible section, 1,5 m de large par 0,6 m de haut par endroits. Les autres siphons sont grands, 5 m de large par 4 de haut. Alors bien évidemment, alors que le courant reste imperceptible dans les autres galeries, le S5 devient une véritable galerie sous pression dans laquelle il est très difficile voir impossible d’avancer. A la moindre variation de débit, il verrouille l’accès à la seconde partie de la grotte. La galerie « naturelle », d’une section équivalente et aussi importante que les autres est bouchée par une trémie, un effondrement qui contrarie le passage de l’eau et des plongeurs… Octobre : L’été a été sec, comme tout le monde le sait. Les débits sont faibles, les niveaux très bas. Super, nous pouvons passer le S5. Je m’engage dans le S8 équipé de deux 20 litres et d’un relais 12 litres. La visibilité est très médiocre, en dessous du mètre. Le fil est cassé, je raboute et je cherche la suite, l’autre bout du fil qui va m’emmener au départ du S9. Je dévie involontairement de l’axe principal de la galerie, intrigué par le changement de nature du sol, je remonte une pente, un éboulis pour ressortir dans une salle, une nouvelle. Elle a exactement la même figure que les autres. Elle est formée par une salle à demi noyée par un lac siphonnant, elle se termine par une vaste salle d’effondrement. Celle ci est très très grasse, de toutes les salles de la grotte c’est la plus argileuse. Je prends les axes, mais je ne me déséquipe pas, je ne suis pas venu pour ça. Je redescends, pour tenter de retrouver le fil principal et d’atteindre le départ du S9. Je raboute un nouveau fil et je pars dans le bon axe, cette fois. Quelques mètres plus loin, je trouve en effet l’ancien fil.Je faits un nœud dans une touille totale, je ne vois pas à 5 centimètres. Mais barbotements dans la nouvelle salle n’y sont pas pour rien. Je pense avoir fixé correctement le fil, il n’en est rien. J’ai un fil, celui qui va vers la salle du S9, l’autre celui qui fait la jonction a disparu, mal fixé, il s’est décroché. Erreur ! Je sors dans la galerie du S9 et je réfléchis. Ici je vois clair et je constate que mes deux 20 litres sont à 210 bars. J’ai un 12 litres qui m’attendent quelque part dans le siphons, il est à 140 bars. La profondeur est de 4 mètres, c’est bon, je peux chercher pendant longtemps. Je ne suis pas inquiet, juste dépité devant ma « connerie »… Je repars, j’amarre le fil et après deux tentatives, je retrouve enfin le fil, celui qui va vers la sortie. Me voilà soulagé. Fidèle à « fait ce que je dis », je fixe correctement le fil, je récupère mon relais et je me dirige vers la sortie. J’ai les gaz pour aller au fond, je n’en suis pas loin, mais cet incident sérieux est le signe raisonnable du demi-tour. La mort dans l’âme, mais heureux de m’en sortir à si bon compte, je repars. Au retour, je découvre un shunt entre le S5 et le S6. Cette petite conduite forcée de 20 mètres de long permet d’éviter la sortie de l’eau et le franchissement du passage le plus pénible de la grotte. La galerie entre le S5 et le S6 est un petit enfer à franchir, surtout en bi 20. Comme quoi dans mon malheur, j’ai de quoi me réconforter, découverte d’une nouvelle salle et d’une nouvelle galerie. Décembre : A nouveau, cette cochonnerie de S5 est remplie à ras bord. Nous parvenons presque à le franchir, mais la sortie est impossible. La remontée de la faille se passe sans trop de problème, mais la dernière partie de la galerie qui « crache » tout le débit est tout bonnement impossible. Nous avons beau tirer et pousser de toutes nos forces, il est impossible d’avancer. Je n’ai jamais vu ça. Nous nous inclinons devant la force du courrant. La dernière partie du siphon reçoit tout le débit. Ensuite, le trajet de l’eau se divise en deux. Une partie s’en va dans une trémie et l’autre dans la suite du S5, ce qui explique que la première partie soit praticable, mais pas la dernière… Au retour, nous refaisons la topo du S5 qui n’avait pas été réalisée avec assez de précision par le passé. Une escalade est réalisée dans une cheminée qui se trouve dans la salle à la sortie du S3. La progression se fait en opposition, malgré la beauté des concrétions et les 15 mètres de haut, il n’y aura pas de suite exondée par ici. Nous réalisons quelques relevés topographiques complémentaires dans les salles exondées afin de compléter la topographie de la grotte. Encore une fois, nous sommes extrêmement déçu devant cette déconvenue. Il n’a presque pas plu et pourtant et le S5 est le barrage infranchissable.

Explorations 2005.

Juillet : Des lampions sous la terre. Une fois n'est pas coutume, nous avons décidé de plonger cet été, période habituellement creuse pour note équipe. Profitant des bienfaits du calendrier, nous mettons à profit le pont du 14 juillet pour reprendre les plongées dans la grotte de Corveissiat. Lassés des échecs passés, nous avions délaissé cette résurgence mais l'envie de trouver la suite et de reprendre la ballade nous a motivés pour retourner dans ce réseau. L'extrémité du fil flotte dans le dixième siphon, à 750 mètres de l'entrée et nous ne sommes pas parvenus à ce jour à trouver la suite. Piètres explorateurs qui buttent dans la roche, qui se perdent dans la galerie et dans un brouillard à couper au couteau. Alors c'est décidé, cette année, le 14 juillet sera sous terre ! L'équipe se retrouve au camping de Thoirette, sur les bords de l'Ain. La première nuit sera agitée car les tentes sont plantées juste à côté de la "fête". Pour ma part, je ne regrette pas d'être venu une journée plus tard et d'éviter ainsi une nuit trépidante. Seul Sébastien s'enfonce dans un sommeil profond, pas du tout dérangé par le tintamarre. Le jeudi, nous effectuons une petite plongée pour déposer des blocs dans la cavité. Cela permet aussi de remettre en état le fil d'Ariane, cassé en plusieurs endroits. Les siphons sont assez sale et une couche d'argile recouvre le sol. En effet le courant est très faible et le niveau d'eau est très bas, presque un mètre de moins qu'en période "normale". L'étiage d'été et le peu de pluie et la sécheresse se fond bien ressentir dans la galerie. J'effectue la première partie de la plongée (S1 et S2) avec le Pilox 2, un petit recycleur CCR à injection manuelle. Ca fait bien tous ces termes techniques. En fait, vulgairement, il s'agit de tubes pvc, d'un sac de douche, d'un direct system de stab, d'une poubelle, le tout assemblé forme un recycleur. Le test de cette nouvelle version, améliorée et ventrale du Pilox est concluante. La boucle est étanche, le confort respiratoire est correct, sans être exceptionnel, l'expiration reste un peu dure. Je passe 30 minutes dans l'eau, sans bruit et sans bulle à rabouter le fil. Au cours des quatre jours, d'autres "BM Boys" testerons la "bête" et goutterons aux plaisirs du gaz chaud. La première " Pointe de deux pointeurs pointus sachant pointer" ! Le vendredi, bien décidé à ne pas nous laisser compter fleurette, nous partons motivés, motivés ! Hervé plonge un petit siphon à la sortie du S5. La galerie exondée qui conduit à ce siphon est gavé d'argile et le siphon en est presque autant rempli. La galerie est prometteuse, de type conduite forcée, lisse comme la main et remplie d'argile, épaisse et volatile ! Plongée dans la touille et arrêt sur rien. Je me mets à l'eau seul et je pars pour mon voyage au centre de la terre. A la sortie du S5, je récupère les bouteilles laissées la veille et je dispose d'une réserve d'air conséquente qui je l'espère me permettra de prendre mon temps pour chercher et pour trouver la suite. Dans le S7, je parviens au niveau de la salle que j'avais découverte par hasard en cherchant à rabouter le fil cassé. Je me souviens de ma mésaventure à cet endroit même où j'avais par ma faute perdu le fil vers la sortie, cassé par les crues. Par chance, je tenais le bout conduisant vers la sortie du S7. A plusieurs moment, je m'arrête pour faire le ménage et pour enlever les lambeaux de fils, vestiges des incidents passés ou de l'effet des crues et pour tirer du fil dans les parties où il est arraché. J'arrive enfin au S9, je vais bientôt savoir si "l'aventure" continue ? La visibilité est assez bonne, pas merveilleuse, juste cinq mètres environ, mais bien meilleur que d'habitude. Cela permet de mieux appréhender la galerie et d'apercevoir les parois. J'arrive au bout du fil, je sors le dévidoir, je suis l'axe principal de la cavité, je remonte le long de la roche, lentement, je regarde partout. La paroi s'incline et soudain une fente noire, rectangulaire et horizontale s'ouvre dans la "muraille" ? Pas de courant, comme partout, mais le passage est ouvert, je rentre dedans, je remonte encore et encore et à nouveau dans le volume, une sorte d'ouverture dans le "mur", je continue, j'en profite, c'est si facile aujourd'hui…! Je remonte, je lève la tête, je me rapproche de la surface, je m'arrête. Elle frémit, l'eau est ridée, non pas par mes bulles, mais le courant, l'actif est là haut. Je sors dans une nouvelle salle, le siphon est franchi et je suis encore dans le réseau actif. Je crie dans mon détendeur, quelle joie. Je barbotte dans une sorte de lac, face à une espèce de marche, le niveau d'eau est très bas. Seul un passage, surbaissé, permet à l'eau de s'écouler. Je fixe le fil et je me soulève pour découvrir la vaste galerie qui continue, pour apercevoir la voûte et l'eau qui se rencontre à nouveau. Le départ du S 11 est là, juste devant moi. Comme si souvent je suis malade, une fois de plus. A partir de maintenant et jusqu'au retour je vais être secoué par des troubles gastriques et par des vomissements violents. Reflux gastriques….! Une galerie exondée part sur la gauche de la salle, je m'y engage un peu, mais il faut décapeler, je n'ai pas le courage. Pas plus le courage de franchir la marche et de m'engager plus loin dans le siphon. Je commence la topo, mais j'abandonne, secoué que je suis par mes spasmes violents. Le retour est des plus pénible, même si la joie d'avoir enfin trouvé la continuité de ce réseau atténue un peu mon "calvaire"…. Je ressors lessivé, pas tant par la plongée que par mes crises de vomissements qui me plient en deux. (J'ai l'impression de cracher mes tripes. Pas besoin de faire du yoga, quand ça vous arrive sous l'eau ça vaut tous les enseignements de contrôle de soi. Je m'arrête, je ferme les yeux, je tiens le détendeurs, je l'enlève, je me vide, je le remets. Plusieurs fois. Je vide le masque. J'attends, immobile, la crise passe. Je repars… Et dire que je devrais faire ça par plaisir…) Après une bonne nuit sous la tente, dans un camping qui a retrouvé le calme, le bal est fini, je décide d'y retourner. Le jour se lève et l'envie impérieuse de prolonger l'exploration me tiraille. J'ai laissé les relais dans la grotte, ils sont encore suffisamment gonflé pour servir une seconde fois. Alors autant battre le fer quand il est encore chaud. C'est décidé, nous y retournons avec Hervé, car il y a un air de trop peu, un goût de pas assez et l'envie est trop forte. Nous avions prévu de la prospection, mais là, impossible de refuser à la tentation d'aller plus loin, ce serait trop bête d'en rester là. La seconde " Pointe de deux pointeurs pointus sachant pointer" ! Nous partons à deux, Hervé et moi. Chacun équipé de nos blocs en latéral et de nos relais nous plongeons pour rejoindre le terminus de la veille. Pour ce genre d'exploration, la progression à deux, présente un certain nombre d'avantages indéniables. Au niveau de la sécurité tout d'abord, en cas de problème en post siphon, une chute par exemple, l'autre peut intervenir immédiatement. Mais cela permet aussi de réduire les efforts notamment pour le passage du monticule entre le S2 et le S3, où il est plus facile de faire passer les relais à deux. Enfin, cela permet aussi et surtout de partager le privilège et la joie de découvrir une galerie vierge. La progression est rapide et nous franchissons les siphons les uns après les autres. Les blocs relais sont abandonnés au fur et à mesure et nous entamons la descente dans le S10 pour bientôt ressortir dans la nouvelle et dernière salle. Je dépose mon dernier relais, j'enlève mes palmes et je prends pieds sur le "balcon" qui rend presque suspendu le prochain siphon, le S11. J'amarre le fil et nous repartons vers l'inconnu. Au bout de trente mètres, le plafond et l'eau se rejoigne complètement et la plongée recommence. Le sol est creusé à de nombreux endroits par des marmites de géants. La galerie est spacieuse, trois mètres de haut par quatre ou cinq de large et peu profonde. Nous évoluons dans trois mètres d'eau. Je déroule le fil et Hervé l'accroche, nous profitons pleinement de ce moment. Nous en rêvions depuis si longtemps de la suite de Corveissiat. Nous sommes gâtés car la galerie est vraiment superbe, la visibilité est assez bonne et les conditions de plongée sont presque faciles. Très vite le premier dévidoir est vide, je sors le second. Et dire que j'en laissé un à l'entrée de la grotte en me disant que j'étais un peu prétentieux d'en emporter trois. Voilà que nous n'aurions pas assez de fil ! Quelle misère. Et en effet, le second dévidoir se vide vite, trop vite. Je fixe le fil sur une gros rocher, bien dans l'axe central de la galerie qui continue, aussi large, aussi haute…! Je regarde mes manos, ahhhhhhhhhhhh, je pourrais encore continuer…..! Je me maudits de ne pas avoir pris l'autre dévidoir…..! Bon, je sors le compas et la plaquette topo et comme aujourd'hui, je suis en pleine forme et que par je ne sais quel miracle, mes intestins me fichent la paix, je peux faire mes devoirs consciencieusement. La galerie est presque rectiligne, sans grande particularité. Je découvre néanmoins une petite cloche presque au-dessus du nouveau terminus. Un filet d'eau s'écoule par une toute petite ouverture, comme s'il s'agissait d'une fontaine. Je noirci les cases de ma planche et je ressorts dans la salle du balcon Hervé est parti dans le galerie exondée perpendiculaire au siphon. Je me déséquipe et je le rejoins pressé de découvrir la suite de ce chemin. Il s'agit d'une faille, une fracture inclinée. Nous pataugeons dans un mélange d'eau et d'argile épaisse. Quel plaisir puéril de se vautrer dans la boue ! Nous observons du courant, nous sommes aussi dans un actif ! Il y a du réseau là dedans ! Nous sommes obligés à plusieurs reprises de ramper et au bout d'une centaine de mètres nous tombons sur un siphon, petit mais prometteur….! L'eau est limpide, on aperçoit le départ, pas aussi grand que l'autre galerie mais pas étroit. On aperçoit plus rien, car balourds comme nous sommes, nous avons soulevé des nuages d'argile. Nous retournons au départ du siphon principal et nous commençons à remettre nos blocs. Avec la patouille que nous venons de faire dans la galerie annexe, la visibilité risque d'être plus que limite au retour. Va falloir être prudent avec le fil. Je vérifie bien que j'ai tout surtout la plaquette topo, je ne veux pas la perdre celle là ! Et hop, c'est reparti. Et en effet, la visibilité est tombée à zéro. Rien de rien, juste la halo affaibli de mes lampes. Je descends doucement, car je ne connais pas bien cette partie toute "neuve" de la galerie. Je fais attention aux oreilles qui à l'aller ont été un peu capricieuses et surtout je m'écarte religieusement du fil. Pas du tout envie de m'emberlificoter dedans, surtout que j'ai déjà donné ici…! Arrivé en bas de la partie remontante qui débouche dans la galerie, je sors du nuage et à nouveau, la visibilité redevient correcte. J'avance vers la sortie. Je m'arrête et je regarde si Hervé suit. Personne, obscurité complète. J'attends. Je reste presque cinq minutes, immobile, au milieu de la galerie, en face du fil et d'une arrête rocheuse. Cinq minute de lévitation dans l'obscurité presque totale, dans le silence. Cinq minute de bonheur. Le faible lueur vacille au loin, le voilà. Il en a mis du temps le bougre. J'attends le contact pour repartir. Tout va bien, c'est bon, nous pouvons y aller. Nous ressortons du siphon et Hervé m'explique la cause de son retard. Cette fois ce n'est pas moi. Il s'est pris dans le fil, à deux endroits. Alors dans l'urgence et dans la touille complète, il a dégainé le sécateur et à tranché net. Il y aura un peu de "couture" à faire la prochaine fois pour attacher les deux bouts ensemble…! Nous enchaînons les siphons dans le sens du retour et nous retrouvons avec plaisir Sébastien à la sortie du S7. Il mitraille et il nous fait de belles photos. L'équipée se remet en route pour la sortie. Le franchissement du monticule entre le S3 et le S2 et le passage de toutes les bouteilles devient une formalité à trois. D'autant plus que Yves sort de l'eau pour récupérer un relais et pour l'emporter. Il y a des plongeurs partout…! Nous ressortons enfin, heureux, tellement heureux de la réussite de cette exploration. Après plusieurs aller et retour dans la rivière souterraine, nous ramenons toutes les bouteilles à la lumière du jour. Le plaisir procurée par cette plongée et par la découverte de la suite du réseau estompe un peu les scrupules que j'avais eu à abandonner femme et enfants pour ce week-end prolongé. Car notre fête a été réussie et les lampions ont brillé et virevolté sous terre. Pas de feu d'artifice mais un joli petit bal au fond du siphon à presque un kilomètre de l'entrée. Une jolie petite ballade…! Et comme si souvent, nous reviendrons…! Les siphons sont répartis comme suit : S1 - 30m / -6 S2 - 35m / -6 S3 - 25m / -5 S4 - 20m / -5 S5 - 80m / -11 S6 - 2m / - 1 S7 - 70m / - 6 S8 - 20m / - 2 S9 - 40m / -2 S10 - 150m / -26 S11 - 100m / - 3 Avant cette exploration, nous comptions un seul siphon pour le S8, mais en fait, il est compose de deux siphons bien distincts. Nous avons arrêté notre progression à environ 920 mètres de l'entrée. L'ensemble du réseau doit se développer sur 1300 mètres environ, dont 570 mètres noyés. Septembre : La rivière noire. Bon je l’avoue, je suis du genre très bon publique. Le moindre trou de chiotte me comble de bonheur, me rouler dans la boue, me vautrer dans des siphons infâmes parvient à m’arracher des soupirs de contentement. Alors quand la grotte est vraiment belle, grande, spectaculaire, vous imaginez dans quel état je suis… ! Ma « comtesse » a de quoi être jalouse… ! Et la grotte de Corveissiat, ce n’est pas de la gnognotte… ! Une sacrément belle rivière souterraine, pas toujours très propre sur elle, mais quand même sacrément jolie. Et puis aguicheuse, prometteuse. Plus vous lui en prenez, plus elle vous en donne, sacrément généreuse en plus de ça. Cette résurgence, cette rivière souterraine, tous ces siphons et toutes ces galeries n’en finissent pas de m’émerveiller, comme un gamin. Mais quelle joie de passer d’une étroiture d’à peine plus de trente centimètres à un grand lac et à une grande salle exondée. Quel plaisir d’avancer dans ces galeries grandes comme des tunnels de métro. Ici, dans les profondeurs rongées par l’eau, coule la rivière noire. L’eau traverse la roche, elle circule dans ce calcaire sombre, obscur. Nos lampes nous permettent d’avancer, de nous orienter, elles suffisent à nos besoins, mais elles ne parviennent pas à repousser cette obscurité épaisse qui nous enveloppe. Nous remontons le cours de l’eau et le cours du temps. Nous avançons dans un lieu ou d’une certaine manière le temps ne compte pas. Ou bien si il compte un peu quand même, le temps ici n’est pas le même qu’à la surface de la terre, que chez les humains ou les autres êtres vivants. Ici le temps s’arrête presque, pas tout à fait, mais presque. L’eau coule, mais ce n’est pas une clepsydre. Les jours et les nuits ne rythment rien, pas même nos incursions. Nous sommes prisonniers du temps, mais la rivière noire, la rivière souterraine, retrouvera sa nuit, son calme, après notre passage. La lumière disparaîtra sous l’eau, la lueur s’éloignera, diminuera et elle disparaîtra, pendant des mois ou des années, jusqu’à la venue du prochain spéléonaute. En attendant seul le bruit de l’eau résonnera dans la galerie. Peut un morceau de roche se détachera du plafond, provoquant dans sa chute un fracas immense. La rivière noire continue à couler, immuablement, comme depuis la nuit des temps. Il disparaît forcément, car dans la nuit souterraine, plus rien ne rythme la vie, si ce n’est les crues peut être ou l’augmentation des ruissellements. La dernière ballade dans les profondeurs de Corveissiat, nous a permis d'en prendre plein les mirettes et de se "gaver" de première et de plaisir ! Et la joie en est d'autant plus intense qu'elle est d'une part partagée mais qu'en plus elle n'est pas terminée, tant les possibilités d'exploration s'avèrent importantes. Car plus qu'une simple rivière souterraine, la résurgence et la grotte de Corveissiat est un réseau, avec ses ramifications, ses galeries annexes, ses salles, ses cloches, autant d'espace à investir et à découvrir. Nous avions établi le "campement" dans l'ancienne école d'Arnans, abandonnée par les enfants et par l'instituteur depuis des années et transformée en gîte. L'équipe Bulles Maniacs a prolongé l'exploration de la grotte de Corveissiat dans l'Ain. Hervé Cordier et moi-même avons découvert 400 m de galerie supplémentaire dans le S12 pour ressortir dans un nouveau lac souterrain de 50 m de long. Qui se termine par un nouveau siphon, non plongé, qui sera le S13. Le S12 devient le plus long siphon de la cavité, il développe une longueur de 550 m pour une profondeur de – 9 m. Le siphon se déroule toujours sur le même axe Nord/Nord Est. La galerie est un peu plus sinueuse et chaotique, mais elle conserve toujours ses dimensions spacieuses (4 x 3 en moyenne). De nombreuses cloches sont présentes tout le long du parcours. Nous n'avons pas exploré tous les puits qui partent dans le plafond, ce sera pour la prochaine fois. L'exploration a durée 7h30 et hormis un problème de flottabilité lié à la défaillance de ma poche dorsale, tout c'est bien passé. Mais avantage de plonger à deux, Hervé a pu me bricoler une réparation de fortune. La visibilité était très bonne et le débit très faible, jamais le niveau des eaux n'a été aussi bas depuis que nous plongeons ici. D'autre part j'ai plongé un autre siphon à la sortie du S5. Il ne fait que 25 m de long et ressort ensuite dans une petite galerie de 100 m de long. Le siphon est un actif, faible et contrarié par la galerie "principale" qui en temps normal, colmate partiellement d'argile presque liquide ce siphon. Pour le franchir, il faut partiellement s'enterrer dedans afin de passer entre la roche et le fond. La galerie post siphon s'appellera désormais l'immonde galerie fétide, tant l'odeur pestilentielle des sédiments est à la limite du supportable. Cette galerie étroite est sinueuse pourrait aussi se nommer le cimetière des niphargus, tant ils sont nombreux à ne pas supporter la pollution des eaux à cet endroit. Une belle cheminée de 15 m de haut environ, se situe au milieu de la galerie. La progression s'est arrêtée sur une étroiture formée par une coulée de calcite. Une désobstruction serait possible, mais l'odeur effroyable de décomposition, de fosse septique et d'égout n'invite pas à un séjour prolongé. Un bon week-end qui se solde par 570 mètres de première cumulée. Le terminus de la grotte se situe maintenant à 1060 mètres de l'entrée, dont 970 mètres noyés. Et l'exploration continue car le S13 n'attend plus que notre venue.

Explorations 2006.

Juillet : A chacun ses traditions. Chez nous ( Bulles Maniacs), pas de bal des pompiers, pas de flonflons, pas de feu d’artifices. Le 14 juillet, la fête nationale se passe depuis quelques années, sous terre, non pas pour fuir l’agitation populaire, ni pour s’isoler du reste du monde, quoique, qui sait ? Donc, nos pétards, nous les mouillons dans les eaux fraîches de la résurgence de Corveissiat. Déjà l’année dernière, nous avions, exactement à la même époque, continué l’exploration de cette surprenante cavité. Cette année, l’équipe, décimée par les congés payés, par les obligations bassement matérielles, s’est retrouvée au camping municipal de Thoirette, haut lieu du camping populaire, des congés payés simples et pas chers. Le « camp » avait un air de colonie de vacances, car Yoann (4ans), Ugo ( 10 ans ) et Pauline (13 ans) accompagnaient leurs parents. Et puis comme ça, en plus de s’éclater dans la rivière souterraine en apprentis spéléos, ils participent au portage et soulage d’autant les dos endoloris de leurs papas…. ! Pour en finir avec l’équipe, il y avait Frédéric Bossard, plongeur belge, vacancier itinérant au grès des siphons français. Bernard Soulas et Sébastien Lissarargue. Sous une chaleur suffocante et humide, nous effectuons deux plongées pour déposer quatre 20 litres pour la pointe dominicale. Plongées qui permettent de se remettre en jambes, de mettre au point le matériel et de vérifier l’état du fil. Car cette année encore, les crues hivernales ont haché certaines sections de la galerie. Ces deux plongées, m’ont permis de constater que ma combinaison fuit à nouveau et que je ressors mouillé des pieds à la tête. Ce qui est fâcheux pour une étanche. Lors de la seconde plongée, je mets une néoprène humide sous la toile. Ca permet de limiter la sensation de froid, mais impossible de rester longtemps sous terre dans ces conditions. Heureusement Sébastien me prêtera la sienne et me permettra ainsi d’effectuer la « pointe » dans un confort absolu. Le dimanche, impatient et toujours un peu fébrile, je termine les préparatifs de tout le matériel. Je peaufine notamment mon « sac à main » en y mettant : une couverture de survie, deux chaufferettes, un tube de lait concentré, un tube de purée de marron, un masque de secours, un « multitool » en inox. Bref de quoi me requinquer sous terre, d’attendre avec un peu plus de « confort » en cas de pépin et éventuellement de bricoler un peu au cas où… ! J’abandonne mes « lardons » à la garde bienveillante et attentionnée de mes camarades et je file à la grotte. Je rentre sous terre à 13 h et je quitte « l’embarcadère » à 13 h 30 après avoir transporté une partie du matériel au départ du S1. Je plonge avec deux 7 litres montés en latéral pour franchir les 7 premiers siphons et les deux étroitutres de cette première partie du réseau. Si « léger » j’avance vite et j’arrive 30 minutes plus tard à la sortie du S7 où je retrouve mes quatre 20 litres. Je laisse les 7 litres et l’équipement en latéral pour repasser en dorsal avec les grosses bonbonnes. Après encore 30 minutes de manipulations me voici prêt pour la grande promenade. Je pars dans la grande galerie, le réseau est divisée plusieurs parties de physionomies différentes. La rivière souterraine butte sur un mur et sur un éboulis gigantesque à la sortie du S8. Le long « tunnel » presque rectiligne se transforme en petites galeries tortueuses et compliquées. Ces petites conduites forcées semblent être le seul passage pour évoquer les quantités d’eau de la rivière. C’est un peu comme s’il fallait vider la baignoire par une paille. D’ailleurs les salles exondées témoignent de ces remplissages, car les traces de mise en charge sont significatives et « hautes » dans les galeries. Les siphons se succèdent, progression presque monotone. La visibilité est plus que moyenne, l’eau est très laiteuse et le faisceau du phare se perd rapidement dans la pénombre. Mais même si c’est moins bien que l’année dernière, cela reste acceptable et bien mieux qu’à l’automne. Il doit y avoir trois à quatre mètres de visibilité, il faudra faire avec. J’arrive au départ du S11, le siphon « profond » du réseau, que 26 mètres, mais assez court. Je le franchis en 10 minutes. J’abandonne mon premier relais, à la sortie du siphon. La sortie de l’eau à cet endroit est assez délicate. Je n’ai pas vraiment peur de me faire mal, mais pas question non plus de rater son coup. La rivière déborde et à cet endroit, c’est un grand mur qui s’enfonce dans l’eau. Peu de prises pour mettre les palmes. Je pose les deux relais et je grimpe péniblement sur le « balcon ». Une fois rétabli, je récupère mon second relais et c’est parti pour le gros morceau, le S12, long de 500 mètres. La profondeur ne dépasse pas 9 mètres, ça permet de moins consommer et c’est tant mieux. C’est la seconde fois que je passe par là. Je découvre encore la galerie. L’année dernière, jour pour jour, nous avancions pour la première fois avec Hervé dans cette galerie. Quel plaisir de s’enfoncer dans l’épaisseur de la terre, dans la nuit et dans l’eau. Je sors le siphon et j’arrive dans le lac terminal. Je suis seul dans cette poche d’air connue de nous seul. Mes lumières s’agitent et créent un drôle de spectacle, d’ombres fuyantes, d’obscurité mal éclairée, à peine dévoilée. L’eau s’agite à mon passage, elle va claquer sur la roche. Le bruit raisonne, presque avec violence dans le silence immense de cette salle souterraine. J’avance et je me dirige vers la suite du réseau. L’avenir est devant moi, sous la surface, là juste en dessous. Dans quelques instants, le bipède lobotomisé par son écran et par sa souris va disparaître. Dans quelques instants, l’anonyme banlieusard va se transformer en explorateur. La belle aventure dominicale ! « Modeste mais géniale » comme dit Mermet. Ma petite aventure, le coup de pied au quotidien propret, monotone, parfois ennuyeux. Explorer, assouvir son insatiable curiosité, réaliser ses rêves et soi même un peu. Explorateur du monde souterrain, découvreur des profondeurs, petites aventures mini métriques à l’échelle de l’univers. Mais ces quelques centimètres arrachés à notre inconnu suffisent à nous combler de joie et de bonheur. Exploration ou explorateur, les mots pourraient monter à la tête. Titre pompeux que seul mes enfants font briller au panthéon des héros légendaires. Pas de quoi se prendre pour Messner ou Hasenmayer. Aucune importance, personne n’est là pour se comparer, pour se hisser dans la légende. Seul le plaisir immense de se glisser dans l’univers, au plus profond de la terre importe. J’accroche le fil à une petite protubérance rocheuse, presque une verrue, au plafond. Ca devrait tenir. Je remets le masque, je place le détendeur dans la bouche et je me laisse glisser dans l’eau . Elle m’enveloppe, elle me recouvre, elle m’absorbe. J’avance vers l’ombre noire, vers l’inconnu, vers le bonheur. Le dévidoir tourne, le fil me relie à la surface, à la sortie, à la vie là haut. Mes enfants doivent jouer dehors, se baigner dans la rivière. Et moi, égoïste, je profite seul de ce privilège inouïe. La visibilité reste très modeste et je me dirige au compas. Toujours cap au Nord ou parfois un timide Nord Est. La galerie s’enfonce lentement et elle change d’aspect. Plus rien à voir avec le précédent siphon. Plus sinueuse, plus découpée, plus vallonnée. J’avance presque à tâtons, difficile d’appréhender les volumes dans ces conditions. J’estime, je devine pus qu’autre chose. Parfois absorbé par mon cap, je butte dans la roche. La galerie s’infléchie un peu. Je regarde le profondimètre, je suis maintenant à 21 mètres de profondeur. J’ai abandonné mon second relais dans la zone des 10 mètres. Le courant est imperceptible, c’est toujours la même histoire dans ces grands volumes. Impossible de les plonger en « eaux » et lorsqu’ils sont plongeables, pas un pet de jus pour vous aider à percevoir le sens de l’écoulement. J’avance bien au centre de la galerie, j’en profite pleinement. C’est beau, c’est génial, quel chance ! Le temps passe si vite, trop vite. Je jette un œil au dévidoir, il se vide et j’arrive bientôt à la fin. J’arrive dans une salle noyée, je butte contre un mur, je remonte le long d’une paroi d’argile. Encore une fois la galerie change de physionomie. Est ce un nouveau siphon, où juste une anecdote dans la galerie ? Je remonte vers le plafond, j’avance encore un peu et là ça y est plus de fil. J’ai prévu large et j’ai un second dévidoir avec 300 mètres de fil. Je raccorde les deux fils en prenant bien garde de ne pas rater la manipulation. Je reprends la progression mais hélas pour peu de temps, je regarde mes manomètres, je suis déjà dans le rouge. Il est grand temps de faire demi-tour. Dommage, mais bon je ne vais pas me plaindre, je viens de faire une belle première. Je fixe le fil sur un béquet au plafond. Je regarde au tour de moi et je ne vois pas de suite évidente. Elle doit être quelque part par là, pas loin, juste sous mon nez, sans doute. Ca sera pour la prochaine fois. Arrêt à 1500 mètres de l’entrée et à moins 17 mètres de profondeur. Le treizième siphon n’est pas sorti. Je troque le dévidoir contre la plaquette topo. Je relève les points filaires et je me dépêche de rentrer, je suis à la limite du retard sur l’heure de rendez vous. Bon, nous avons gardé une marge de 2 heures avant de tirer la sonnette d’alarme, mais autant éviter de déraper. Il reste pas mal de chemin à faire avant de regagner la sortie. Les siphons s’enchaînent et les 500 mètres du S12 me paraissent moins long qu’à l’aller. Je fais une pose à la sortie du S 11, « sur le balcon ». J’en profite pour vidanger la bête et pour casser la croûte. Un peu de crème de marron pour fêter ça… ! C’est drôle d’être assis là, tout seul sur une plage de gravier, les pieds dans l’eau, à manger et à rêvasser. Je repense à la galerie découverte, à ce privilège d’être sous terre. Isolé dans cette salle, fermée par deux miroir d’eau, certains pourrait y voir une prison, un lieu effroyable et terrifiant. J’y vois plus un refuge, un havre de paix et de bien être, un petit coin sympa pour passer une trop chaude journée d’été. Je me rééquipe, je récupère les relais et c’est reparti pour la sortie après cette courte pose. Je retrouve mes 7 litres, je défais le bi dorsal, je range les sangles. Je commence à avoir froid à ne pas bouger, immergé jusqu’au torse dans l’eau. Je suis prêt et je repars avec deux 20 litres, maintenant inutiles. Plus que 7 siphons pour retrouver les enfants et les copains et pour partager la joie de cette découverte. Je suis à la limite du retard et je fonce afin de ne pas dépasser la limite fixée. Je franchis le monticule entre le S3 et le S2 à l’arrache, en tirant les deux « monstres » de 20 litres. Je replonge encore et quelques minutes plus tard je sors du S1. Il ne me reste plus qu’à franchir la soixantaine de mètres de la rivière pour retrouver Sébastien qui m’attend patiemment. J’ai deux minutes d’avance sur l’heure fixée. Quelle précision !

Explorations 2009.

1660 m de l'entrée dans le S12. (Hervé Cordier + pe deseigne)

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